Twitter - Julie Oudet, Tranche de vie dans son service des urgences

Ça m'a touché, beau texte que je mets en entier plus bas.

Derniers moments off après 2 jours de repos, la boule au ventre à l’idée de retourner bosser.

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Tout le texte:

➡ 26 décembre 2021 / Dr Julie Oudet, urgentiste adulte ⬅
« Derniers moments off après 2 jours de repos, la boule au ventre à l’idée de retourner bosser.
Pour ceux qui me connaissent pas, je suis bucheronne H24, ascendant urgentiste.
C’est pas que je sois dure à cuire, c’est juste que ma zone de confort est l’aorte fissurée à 80 km de l’hosto. (Pour les moldus : le plus gros vaisseau du corps humain)
En termes de chouineries de frêles docteurs, disons que j’aime la régulation (que la plupart des urgentistes détestent), surtout quand c’est le bordayl (bah quoi ?), et globalement quand il y a du sang partout et l’intensité humaine des drames à affronter.
Une chochotte, quoi.
Mon job est une drogue, parce que l’adrénaline, parce que le sentiment de faire de mon mieux et le corollaire qu’est la paix que me fout ma conscience.
Et plus c’est l’enfer, plus j’aime ça.
Raison pour laquelle j’ai appris et adoré la médecine de catastrophe.
Donc demain je retourne bosser après ces 2 jours de repos de nantie.
Et j’ai peur.
Peur comme j’ai jamais eu.
De pas tenir. Ni moi, ni mes collègues soignants, face à cette 5e-6e vague.
Pour rappel nous étions, le système de santé, exsangues et crevards d’épuisement professionnel, avant la 1ere vague.
Et depuis nous avons encaissé, encaissé, encaissé.
Donné tout ce qu’on pouvait. Tout.
Je sais pas comment au juste, nous avons pu, collectivement, faire face.
Il le fallait.
Nous étions épuisés, et las.
Crescendo.
Il le faut toujours. Mais je ne sais pas si nous y arriverons encore, je ne sais pas si j’y arriverai encore.
Y’a des fois où je me suis retenue de m’effondrer parce que je savais qu’autour des moi, des collègues et amis tomberaient comme un château de cartes.
Y’a des fois où si des collègues et amis n’avaient pas tenus, je me serais effondrée.
J’ai choisi de m’investir corps et âme dans la mission vaccinale, en plus du reste, parce que c’est une façon de garder les yeux rivés vers la lumière dans l’obscurité qu’est cette crise.
Cela a beau être éreintant, à ce niveau là d’investissement, ce n’est pas ce qui me pèse moralement.
Grâce aux équipes, grâce au fait que ça soit la lumière dans ce tunnel.
Non. C’est au titre de mon job adoré, celui d’urgentiste, que je suis terrifiée.
Pour plein de raisons.
[c’est clairement le moment de m’unfollow parce que je compte pas vider mon sac avec des pincettes]
Pour nous autres urgentistes, la 6e vague s’annonce épouvantable.
Oui, la vague « han mais omicron est juste un rhume ».
Épouvantable.
Déjà parce que même avec une morbi-mortalité soi disant bien moindre (et vraiment j’espère que c’est le cas), très peu x énormément = beaucoup. Beaucoup trop.
100 000 nouveaux cas par jour, bordayl.
J’en peux plus des gens qui ont manifestement dormi au fond de la classe en CE2 pendant le cours sur les multiplications, et qui disent que tout va bien aller parce qu’omicron serait gentil tout plein.
J’en peux plus de ceux qui voient pas le problème en deçà de 60 % de saturation des réas.
Pour lesquels en deçà, il est pas justifié de lever leur cul de leur canapé où ils pérorent sans rien y piger, pour ouvrir la fenêtre et aérer bordayl.
Passons sur le fait que les mêmes qui supportent pas le masque ouin ouin et ont pas confiance en la vaccination (expression trendy pour dire « peur des piqures ») sont ceux qui engorgent les cabinets médicaux, la ligne 15 et les services d’urgence quand ils ont un rhume.
Tout, tout de suite, pour eux seuls, sans aucune considération pour le fait qu’il y ait d’autres citoyens dont le cas est substantiellement plus sévère.
Je sais pas pour mes collègues de France et de Navarre, mais j’en ai vu des caisses.
Non vaccinés, 1er jour des symptômes, aux urgences « donnez moi de la morphine tout de suite j’ai trop mal à la tête », bien sûr en omettant malencontreusement de se signaler comme covid + et en gardant le masque sous le nez.
Des caisses.
Donc même si omicron n’était qu’un gros rhume dans 100 % des cas, je serais pas très rassurée, dans cette société, de l’arrivée fracassante de ce variant avec le nombre de contaminations journalières inhérentes.
Je vais vous dire comment ça se passe concrètement aux urgences.
On a des box. Isolés.
Et un couloir, genre hall de gare mais sans la voix sympathique de Simone Herault.
Une zone d’accueil.
Et un « aval » (terme consacré) aka des chambres d’hospitalisation.
A l’accueil, perso, les covid qui nécessitent pas d’oxygène immédiatement, ils rentrent chez eux.
Sans prise de sang ni scanner ni rien. Je m’expose sur le plan médico-légal et ce malgré le « revenez si ça se dégrade » systématique, hein, mais j’ai pas le choix.
De l’aval ? Bah l’hôpital est plein. Pour les patients covid comme pour les patients ayant d’autres pathologies, vous savez, les patients si nombreux déjà avant la crise que c’était déjà l’enfer.
Donc l’aval c’est au compte goutte même quand en face de nous arrive un tsunami.
Alors les patients covid nécessitant de l’oxygène on les met dans les box. Isolés.
Et les autres, quand le covid sature les box ? Dans le couloir. Le hall de gare. Sous les néons.
Donc la semaine dernière déjà, le patient non covid de 80 ans avec une hémorragie digestive, vous savez où il a passé de très (trop) nombreuses heures, parce que dans les box c’était covid covid covid ? Dans le couloir, sur un brancard inconfortable au possible.
J’en peux plus.
Son voisin d’infortune c’était un patient dont la pathologie a souffert du retard engendré par les déprogrammations successives, à cause du covid.
Il n’en mourra pas (pas lui) mais ça lui fait mal, tous les jours, et ça le handicape.
Et dans les box ? Covid non vaccinés. Ayant besoin d’oxygène. De tous âges. Avec antécédents ou absolument sans aucune comorbidités.
C’est devenu terrifiant.
Le fait de ne pas être vacciné est devenu, de façon écrasante - par écrasant je vous prie de bien visualiser ce que subissent les patients non covid et l’ensemble du système de soins - la pire des comorbidités ever.
Or l’âge on peut pas lutter.
Les pathologies préexistantes bah elles sont là, ça veut pas dire que c’est peine perdue de les prévenir ou les traiter, hein. C’est juste qu’elles sont là, à l’instant t de la contamination.
Mais bon sang, la vaccination. Le masque. L’aération.
« Gnagnagna on sait pas ce qu’il y a dedans [le vaccin] » : oui alors primo on en reparle quand vous cesserez de bouffer et fumer n’importe quoi ; secundo si si, on sait ce qu’il y a dedans et c’est pour ça que l’immense majorité des médecins s’est ruée vers la vaccination.
Au passage, puisque c’est un thread exutoire ; les médecins qui déconseillent à leurs patients de se faire vacciner, sans aucun argument scientifique (je parle pas des rarissimes patients authentiquement contre indiqués) : je vous honnis.
Les médecins qui sans le moindre argument scientifique disent que « le moderna c’est de la merde » et autres stupidités, pour saccager la confiance des patients en effet c’est top, mais je vois pas l’intérêt de pérorer nawak quand on en sait pas plus que le palefrenier du coin.
Les journalistes qui continuent d’écouter exclusivement Blachier, le mec qui incarne la boussole épidémiologique indiquant le sud, c’est quoi votre problème ? Un pari perdu vous condamnant à ridiculiser vos rédactions pendant des mois et des mois ?
Il y a qq jours, il nous a fallu, à ma collègue de réa et moi, expliquer à un couple de patients covid non vaccinés que seul l’un des deux irait en réa
Les deux graves. Scanners apocalyptiques, à se demander comment ils respiraient avec ça.
Une seule place en réa.
Pendant ce temps, les rassuristes et les négationnistes, bref les jepensequamagueuliste ayant conjointement peur des piqûres + des fenêtres ouvertes + d’un bout de tissu devant le nez, nous traitent de chochottes.
Han.
Vous êtes mal tombés, les gars.
Mon fond de commerce c’est l’arrêt cardiaque, et ma zone de confort le plus gros vaisseau du corps humain, qui encaisse 5 litres de sang par minutes, subexplosant à Perpette les Olivettes. Dont l’annoncer sans ciller aux familles.
Une chochotte.
La chochotte sus-décrite vous dit qu’elle a peur.
À quel moment, dans un avion dont les ailes brûlent, vous gardez confiance en votre voisin aviné qui dit que tout va bien, tandis que le personnel navigant, rompu à tous types d’avaries, est terrifié ?
À quel moment vous continuez de penser que le doctorat en épidémiologie que vous n’avez d’ailleurs pas est la clé pour nier ce que vous disent les gens qui voient les malades au quotidien ?
Signe que l’on en peut plus : de très nombreux soignants (je m’inclus) peinent de plus en plus à demeurer empathiques avec les covid non vaccinés non masqués etc.
On parle de gens qui soulagent la douleur du type blessé après avoir conduit ivre.
Vous n’imaginez pas.
Oui mais voilà.
Massivement, le mépris pour les autres malades (oui oui, vous savez, les pathologies qui existaient déjà avant le covid, infarctus / cancer / etc), le mépris pour les soignants exténués, le fait de se mettre danger soi même. On ne supporte plus.
Ce soir j’ai voulu regarder les chiffres d’hospit covid dans mon département, songeant qu’ils seraient moins pire que mes craintes, pour me rassurer.
Pour dissoudre cette boule au ventre.
J’aurais pas du.
D’un nombre déjà effarant le 24, il y a 2 jours, on est passé à largement plus que ce que mon esprit pessimiste pouvait envisager.
« Omicron n’est qu’un rhume ».
J’t’en foutrais, des rhumes qui ont besoin de 60 litres d’oxygène par minute pour pas crever. »

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